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JDA qu'est-ce que c'est ?

Dernière mise à jour : 20 juin 2018




 

Propos recueillis Eddy Maaroufi.



 


Martin, peux-tu nous parler de ta relation à l’odorat, et l’origine de ta passion pour le parfum ?

J’ai toujours voulu orienter ma carrière vers quelque chose de créatif. Mais je ne suis pas un grand aventurier, j’ai besoin d’être rassuré et cadré. Alors j’ai commencé des études de biologie. Finalement, j’ai compris que la parfumerie serait la solution à l’équation de création cadrée, puisque alliant expression de la sensibilité et scientificité de la chimie.

Au delà de l’artisanat, je vois le parfum comme un « art scientifique », à la frontière entre l’art et les sciences.


Et puis tu créas le Journal d’un Anosmique, c’est à dire de quelqu’un qui ne sent pas les odeurs…

J’ai créé en 2013 le Journal d’un Anosmique pour laisser incuber quelques idées qui germaient dans ma tête. J’avais envie d’explorer les relations entre le parfum et l’art, tous deux touchant au domaine de la sensualité, du plaisir des sens. Je voulais comprendre les modalités de ce dialogue nécessaire. C’est d’ailleurs un parallèle qui est déjà inscrit dans notre vocabulaire professionnel : on parle de parfum comme de musique, avec des notes et des accords par exemple.

Je me suis donc intéressé à la synesthésie. J’ai mis en parallèle des parfums et des peintures, des poèmes, des musiques, etc.


Comment est né le projet Première Matière, votre premier ouvrage ?

Première matière, c’est la continuité du Journal d’un Anosmique. En parfumerie, on emprunte souvent notre vocabulaire aux autres sens. On parle alors d’une odeur verte, d’une senteur sucrée, ou d’une effluve grinçante. J’avais envie que la parfumerie partage à son tour son vocabulaire : les matières premières.


Qu’est-ce qu’une première matière en parfumerie ?

C’est une odeur brute qui rentre dans la composition d’un parfum. La palette du parfumeur est composée de plusieurs types de matières :

– les naturelles, qu’on extrait par des procédés chimiques d’organismes végétaux, et même parfois animaux.

– les synthétiques, qu’on crée en laboratoire.


Vingt-deux sont représentées dans le projet. Pourquoi un titre au singulier ?

C’est une question qui a animé de grands débats au sein de notre petite équipe !

Mais nous avons finalement fait le choix du contrepied, et de la mise en abyme. Il y a 22 expériences olfactives d’artistes différents, certes, mais toutes se rejoignent dans une véritable synergie, incarnée par le livre. J’ai toujours travaillé sur un support digital, maintenant nous coulons de l’encre sur des pages. C’est donc la première mise en matière de mon projet initial, Journal d’un Anosmique.

Les artistes choisissaient à l’aveugle l’odeur qui les inspirait le plus, entre deux mystérieuses fioles numérotées. Il y avait quelque chose du jeu dans la proposition, voire du jeu de piste, avec une énigme à résoudre…

Notre protocole fonctionnait si et seulement si nous ne délivrions pas le nom des matières aux artistes. Leur odorat aurait été biaisé, et l’expérience bien moins intéressante. Il fallait que seul leur nez les oriente.

Et en effet, c’était réellement un jeu. Nous quatre, derrière le projet, avons pris un malin plaisir à envoyer ces fioles dans toute l’Europe, même de l’autre côté de l’Atlantique. La plupart des artistes ayant participé ont d’ailleurs bien retenu le numéro de leur fiole, la seule chose tangible qu’ils aient reçue. Il n’y avait pourtant pas d’énigme à résoudre. Il ne fallait pas chercher à mettre un nom sur la matière, juste s’en inspirer. D’autant plus que certaines huiles essentielles ne sentent pas comme la fleur fraîche, et certains synthétiques nous sont même inconnus. Il fallait simplement retranscrire ses sensations, dans son propre langage, à savoir sa discipline artistique.


Avec l’équipe, avez-vous été surpris par les interprétations que les artistes ont fait des matières premières que vous leur aviez envoyées ?

Plus que surpris, nous avons été touchés. Je me souviendrai toujours de la réception de la première

œuvre. Cela faisait des mois que nous pensions le projet, et de voir les premières pages du livre se dessiner était beau, parce que les œuvres montraient un véritable engagement des artistes.

Mais surpris, oui, aussi. Surtout moi qui ai une vision pleine d’à priori sur ces matières, qui sont le cœur de mon métier. J’ai des schémas en tête et je ne fais plus attention à certaines facettes. Découvrir ces œuvres, c’était redécouvrir les matières.

Rares sont les artistes à avoir reconnu l’origine des essences qui leur étaient proposées. Cela a sans doute enrichi leur création d’ailleurs !


Pourtant, certaines semblent évidentes, quand on connaît leur nom. Comment expliques-tu ce mystère ? L’odorat est-il un sens que nous négligeons ?

C’est vrai. On a eu cependant de très bons nez face à nous ! Mais rares sont ceux qui ont trouvé. D’abord parce qu’on est rarement livré à des odeurs brutes. Elles sont toujours associées à une végétation, un plat, un lieu. Et ces liens aident beaucoup à poser un nom sur une odeur. On utilise rarement notre seul odorat.

C’est un sens auquel on est très peu éduqué. Il reste très intime, entouré de plein de tabous. C’est le sens de l’animalité par excellence. La différence entre les mots "parfum" et "odeur" est révélatrice de cette ambiguïté. D’un côté le civilisé, de l’autre le sauvage. Rien que dans la rue, on est bien plus souvent confronté à de mauvaises odeurs qu’à des fragrances délicates ! Nous avons pris l’habitude de faire abstraction de ce sens.

Il faudrait se réconcilier avec notre nez, apprendre à le laisser nous parler dans les musées, dans les écoles, au travers de jeux… Et mettre en avant non seulement les compositions parfumées, mais aussi chacune des matières premières, qui en sont la base, la palette de couleurs en quelque sorte.


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